o felix culpa

29 juin 2005

Mlle T.

Mlle T., en fait, s'appelle Thérèse. C'est une femme assez curieuse, insaisissable. Elle vivait seule avec sa soeur qui l'a quittée, morte d'un cancer il y a quelques années. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a un frère au Canada, et un autre plus près, mais qui donne encore moins de nouvelles. Thérèse est seule. Dans sa grande maison, et dans sa tête. Elle est pauvre. Vraiment. Et fière, beaucoup trop. Dans sa maison, elle n'a ni eau, ni électricité : elle va la nuit dans les fontaines publiques pour aller chercher de quoi boire, se laver et faire son ménage. Comme toute demoiselle qui se respecte, Thérèse a cinq chats qui font la loi et qui règnent en despotes dans sa maison.
Moi, Thérèse, je l'aime bien. Elle est douce, sans âge, avec un regard triste qui sourit souvent. J'aime bien quand elle râle aussi, quand elle est persuadée que la mairie, les franc-maçons lui en veulent personnellement. J'ai essayé de lui expliquer, et puis j'ai renoncé : la solitude vous met dans la tête des idées qui deviennent très vite indéracinables.
Mon curé a fait derrière son dos les comptes de ses revenus : environ 200 euros par mois. Il a fallu qu'il lui fasse les gros yeux (façon Sauron de Mordor ou le Bouillon du Petit Nicolas) pour qu'elle accepte de temps en temps de quoi augmenter sa survie. Mais le peu qu'elle a, Thérèse le donne aux pauvres qui savent très bien qu'ils peuvent, en plus d'une aide financière, lui parler et être écoutés. C'est comme pour les chats : Thérèse s'oublie elle-même et recueille.
Sa foi reste un peu enfantine : il lui suffit de savoir que le bon Dieu l'aime bien, que les anges veillent sur elle et que le mal doit être sempiternellement combattu pour lui donner la force de se lever le matin.
Reste parfois son angoisse des "complots" qu'elle voit contre elle, l'Etat, l'Eglise. C'est un peu fatiguant. Alors on zappe volontiers en la laissant parler, s'énerver, villipender.
Il y a un peu plus d'un mois, Thérèse n'avait pas le moral. Son visage accusait les traits creusés de la fatigue.
Un jour, elle s'est enfermé dans son taudis sans vouloir ouvrir à ceux qui frappaient chez elle. Il a fallu que Monsieur le Curé himself se déplace avec pompiers, policiers et médecin pour qu'elle obéisse et se laisse hospitaliser.
Une semaine après, l'histoire se répète.
Cette fois, le Curé est absent.
Mais ni les pompiers, ni les policiers, ni le médecin.
Ils ont fait peur à Thérèse. Elle a cru que le complot avait quelque chose contre elle.
Elle s'est jeté par la fenêtre.
-----
On a eu peur.
Le médecin de l'hôpital de B. qui l'a vue arriver en hélicoptère est étonné : "c'est un miracle, à part un pied cassé et la colonne vertébrale un peu secouée, elle n'a rien".
Elle n'a rien...
Elle n'a jamais rien eu.
Et c'est peut-être ça le problème.

1 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

j'aime ce retrait du monde, ils sont nombreux dans ce refuge solitaire. Plus d'hermitage, seul au coeur de grandes banlieues. au confluent de l'intérieur et de l'exterieur, du sensible. Ils se cachent drrière des certitudes de façade, enfermés dans la dignité. ils m'effraient, par cette violence contre eux même.

mardi, 15 août, 2006  

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil